RUE89: Le dictateur se meurt, son bulletin de santé est sur Instagram

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Alors que l’Ouzbékistan bruit de rumeurs sur la mort du président, c’est sa fille qui, sur Instagram, a révélé la raison de son hospitalisation. Ce n’est pas la première utilisation des réseaux sociaux par une fille Karimov à attirer l’attention.

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C’est une source inattendue dans l’univers opaque et répressif de la République d’Ouzbékistan. Alors que le gouvernement ouzbek s’était fendu le 28 août d’un court communiqué admettant du bout des lèvres que le président était tombé malade – déjà en soi un évènement, alors que des rumeurs sur la santé fragile du président circulent depuis des années et ont toujours été démentis par le gouvernement –, c’est d’Instagram qu’est venu la confirmation.

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Et pas de n’importe qui: Lola Karimova, la plus jeune fille du président, apublié le 29 août sur son compte personnel une photo de la famille Karimov (photo d’archive, précise-t-elle) accompagné d’un court commentaire, écrit en russe, en ouzbek et en anglais: «Mon père a été hospitalisé samedi matin et souffre d’une hémorragie cérébrale […] il est dans un état stable», affirme-t-elle. «Ma seule demande est que chacun s’abstienne de faire des spéculations».

Peine perdue. La confirmation du mauvais état de santé du président, une première dans l’histoire du régime, a déclenché un torrent de suppositions qui n’ont fait que décupler avec l’annonce par une agence de presse russe de la mort d’Islam Karimov.

Confirmée par des sources d’oppositions, démenti par le gouvernement, la question reste particulièrement sensible. Le 31 août, Lola Karimova publie un nouveau message sur Instagram: après avoir souhaité une joyeuse fête de l’indépendance «au peuple d’Ouzbékistan», la fille du président a tenu à remercier «chacun pour son soutien et ses vœux de rétablissement pour notre président». «Je suis certaine, ajoute-t-elle, que vos vœux sincères aideront à son rétablissement.» Manière de démentir sans en parler directement les rumeurs concernant le décès de son père.

La famille Karimov entretient une relation bien particulière avec les réseaux sociaux, longtemps utilisé par la grande sœur, Gulnara, comme une vitrine (aussi bien pour elle-même que pour son pays) avant qu’un scandale de corruption ne la fasse voler en éclat. Lola, qui a déclaré en 2013 à la BBC ne pas avoir vu sa sœur depuis 12 ans, a alors pris le relais. Elle offre depuis une image plus sage que sa sulfureuse sœur, mais n’hésite pas à défendre le régime de son père.

Strass, paillettes et corruption

Twitter était la plateforme favorite de Gulnara Karimova, aujourd’hui âgée de 44 ans. Pendant plusieurs années, elle va s’y exprimer de manière prolifique, vantant son travail de philanthrope, faisant la publicité de sa musique et moquant ses critiques.

L’ancienne diplomate – elle a notamment travaillé à l’ambassade d’Ouzbékistan en Espagne et plus récemment en Suisse – disposait alors de deux comptes, l’un à son nom, l’autre dédié à sa carrière de chanteuse. C’est que, en plus d’être vraisemblablement la femme la plus riche et la plus puissante d’Ouzbékistan, Gulnara Karimova souhaitait être une pop star, allant jusqu’à réaliser en 2013 un clip vidéo avec Gérard Depardieu.

Le clip de «Nebo Molshit» («Le ciel se tait»)

Sur Twitter, la diplomate-philantrophe-designer-star ne fait pas l’unanimité. Un article publié par Buzzfeed en 2012 a compilé quelques-uns de ses échanges musclés avec des critiques, se résumant la plupart du temps à des insultes rédigées dans un anglais douteux (étonnant, considérant que la fille du président ouzbèke a étudié à Harvard).

Une journaliste travaillant pour la BBC, et expulsée d’Ouzbékistan après avoir enquêté sur la stérilisation forcée de femmes dans le pays, va tenter la même année d’obtenir une explication concernant son expulsion directement auprès de Gulnara Karimova. La fille du président promet de se renseigner et donne son adresse mail, mais ne répondra jamais. Un peu plus tôt, elle avait demandé à la journaliste sur Twitter de ne pas utiliser le terme «fille de dictateur ».

Les choses vont se corser un an plus tard. Alors que son activité sur Twitter se résumait jusque-là à de l’autopromotion et quelques passes d’armes avec des journalistes et des critiques, Gulnara Karimova va soudain permettre aux observateurs du monde entier de suivre sa chute, presque en direct.

Soupçonnée de corruption dans son pays, elle accuse le puissant ministre de la Sécurité, Rustam Inoyatov, de fomenter un complot contre elle tout en cherchant à accéder au pouvoir, attaque sa sœur, soutient que sa mère est manipulée. Son compte Twitter est brièvement désactivé en novembre 2013, puis définitivement suspendu en janvier 2014. Elle aurait alors été assignée à résidence, et n’a pas été vue depuis.

Un visage respectable

Fille de dictateur? Il n’y a pas que Gulnara à avoir été gênée par cette appellation. Lola, sa petite sœur, a ainsi attaqué Rue89 en justice (et perdu) pour avoir utilisé le terme dans un article de 2010 intitulé «Sida: l’Ouzbékistan réprime à domicile mais parade à Cannes». Le tribunal, notait alors Reporters Sans Frontières, a considéré l’article (et donc l’expression) «parfaitement conforme à la réalité».

Une répugnance à voir leur père classé parmi les grands dictateurs de ce monde n’est pas le seul point commun entre les deux sœurs. Comme sa grande sœur, Lola, âgée de 38 ans, a fait carrière dans la diplomatie, notamment en tant que délégué permanent de l’Ouzbékistan à l’UNESCO. Elle est aussi impliquée dans plusieurs organisations caritatives visant à la protection des enfants handicapées.

Depuis la chute de Gulnara, Lola a pris le relais de sa sœur en tant que face respectable du régime ouzbek. Et si les similarités sont là, le style diffère : Lola préfère Instagram à Twitter, et se présente d’abord comme «mère de trois enfants» et «épouse» plutôt que comme chanteuse pop ou créatrice de mode. Entre soutien aux athlètes ouzbeks pendant les JO, louanges pour les merveilles architecturales du pays et mise en avant de son travail caritatif, Lola Karimova joue parfaitement son rôle sans pour autant verser dans les exubérances de sa sœur.

Profil bas

Et si l’achat par le couple d’une villa à 43 millions de francs en Suisse a fait un peu jaser en 2010, notamment après qu’un magazine local l’ait placé avec son mari parmi les 300 résidents les plus riches de Suisse (sur Twitter, sa sœur Gulnara l’avait accusée d’être encore plus riche que ne le prétendait le magazine), Lola Karimova est parvenue à rester éloigné des énormes scandales de corruption et de pouvoir de sa grande sœur.

Le pouvoir, justement: là aussi, Lola fait profil bas à côté d’une sœur qui, avant sa disgrâce, était régulièrement vue comme une candidate très sérieuse à la succession. Tout au plus peut-on trouver sur Instagram un post publié il y a un peu moins d’un an dans lequel elle détaillait sa relation au pouvoir, qu’elle explique avoir «définie dès [son] enfance», tout en évitant soigneusement de se présenter comme ambitieuse:

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http://rue89.nouvelobs.com/2016/08/31/dictateur-meurt-bulletin-sante-est-instagram-265037

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