Après Depardieu, Brigitte Bardot : l’indécence du chantage à l’exil
Avez-vous jamais parlé à un exilé ? Ça m’est arrivé souvent, dans ma vie de journaliste, de rencontrer des hommes et des femmes qui vivaient loin de leur pays, parfois loin de leur famille, fuyant une menace ou une situation insupportable.
La dernière goutte d’indécence a été fournie ce vendredi par Brigitte Bardot, ex-icône nationale depuis longtemps tombée dans l’absurde, et qui menace de devenir russe à son tour si les deux éléphantes lyonnaises atteintes de tuberculose sont euthanasiées.
La France, un «cimetière d’animaux»
Dans un communiqué, la star de « Et Dieu créa la femme » s’indigne:
«Si ceux qui ont le pouvoir ont la lâcheté et l’impudence de tuer les deux éléphantes […], j’ai pris la décision de demander la nationalité russe afin de fuir ce pays, qui n’est plus qu’un cimetière d’animaux.»
On peut s’émouvoir du sort de ces éléphantes sans tomber dans le ridicule de l’outrance. Quelle insulte à la mémoire d’Anna Politkovskaïa, la journaliste russe assassinée en 2006, et à ces Russes qui bravaient le froid l’hiver dernier pour réclamer le respect des libertés démocratiques, pour aller s’y exiler au nom des droits des animaux !
On sait depuis longtemps que Brigitte Bardot a plus de compassion pour les ânes, les moutons, et maintenant les éléphantes, que pour ses congénères humains, mais il faut avoir renoncé à penser plus loin que son zoo pour penser qu’un chantage pareil a du sens. Pauvres russes si elle met sa «menace» à exécution!
Goulag français, paradis russe
Après Gérard Depardieu, lui aussi ex-gloire nationale du cinéma devenu la caricature de lui-même en Obelix adipeux, en chanteur ami des despotes tchétchène ou ouzbek, qui hésite entre un exil belge et un passeport russe pour fuir … le fisc, voici donc celle dont Serge Gainsbourg chantait les «initiales BB» qui veut quitter le goulag français pour le paradis russe.
Il fut un temps où l’on s’exilait de France pour des raisons plus nobles. Relisez Victor Hugo, monsieur et madame les artistes, prenez quelques leçons de courage et de patriotisme de ses années d’exil après le coup d’Etat de Napoléon III en 1851!
Rencontrez les exilés d’aujourd’hui, réfugiés politiques en France qui ont quitté des pays lointains, non pas pour payer moins d’impôts ou sauver des éléphants, mais parce que leurs droits fondamentaux étaient bafoués.
Une rencontre pour Depardieu
On rêverait de faire rencontrer à Gérard Depardieu Mme Mutabar Tadjibayeva, 48 ans, une militante ouzbek des droits de l’homme réfugiée en France.
Mme Tadjibayeva avait témoigné en mai 2011 au procès que nous avait intenté Lola Karimova, fille du dictateur ouzbek, et soeur de Gulnara avec laquelle Depardieu a enregistré une belle chanson d’amour.
Assistée durant l’audience d’un psychologue, Mme Tadjibayeva a raconté au tribunal parisien ce qui lui est arrivé dans son pays avant son départ en exil en France:
«J’ai été kidnappée en 2005 à la suite des événements d’Andijan dont j’avais été témoin [plus de 750 manifestants ont été massacrés, ndlr]. Emmenée en dehors de la ville j’ai été humiliée et insultée. On m’a dit “de quoi tu te mêles?” On m’a jetée dans une pièce, avec du scotch sur la bouche. J’ai ensuite été violée par trois hommes.»
Le président lui demande si elle veut s’asseoir. Elle préfère témoigner debout:
«Ils m’ont brisée physiquement, j’ai été mutilée dans ma chair, mais ils ne m’ont pas brisée moralement.»
Inutile de dire que nous avions gagné le procès.
Que doit penser Mme Tadjibayeva, qui s’est réfugiée en France pour fuir ses tortionnaires, en voyant Gérard Depardieu mettre en vente son hôtel particulier parisien de 1 800 mètres carrés et partir à l’étranger pour payer moins d’impôts comme des dizaines d’autres Français parmi les plus riches, ou en entendant Brigitte Bardot menacer de quitter son pays pour des éléphantes mais en oubliant les hommes?
Au moins, pourrait-on avoir la décence de ne pas employer à leur sujet le mot «exil», le même que pour ceux qui se battent pour leur liberté et sont contraints de quitter leur pays. Trouvons un autre mot: «planqués fiscaux» pour les persécutés du fric, ou, dans le cas bien particulier de BB, «réfugiée zoologique»?
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