Le Monde: Le combat de Mutabar Tadjibayeva, survivante des geôles de Tachkent

Le prix Martin-Ennals a été remis à une opposante ouzbèke.

« Une fois de plus, ils ont violé leurs propres lois en me laissant sortir d’Ouzbékistan! » Mutabar Tadjibayeva a le rire facile quand elle évoque la volte-face des autorités ouzbekes. Il y a encore quelques mois, considérée comme une « ennemie du peuple », elle se mourrait au fond d’une prison de Tachkent. Là voilà autorisée à voyager et à témoigner en Europe, en particulier à Genève où elle a reçu, le 20 novembre, le prestigieux prix Martin-Ennals, sorte de Nobel des droits de l’homme.

Libérée le 2 juin et désormais placée en liberté conditionnelle, ce qui – en principe – aurait dû lui interdire de quitter son pays, Mme Tadjibaeva ne se fait pas d’illusions sur les intentions du régime ouzbek: « Ils peuvent m’utiliser pour faire leur publicité sur de prétendus progrès en matière de droits de l’homme. Cela m’est égal. »

Cette économiste et journaliste indépendante de 46 ans, originaire de Margilan, dans la vallée de Fergana (est de l’Ouzbékistan) et présidente d’une ONG, le Club des coeurs ardents, revient de très loin. En octobre 2005, elle avait été arrêtée, puis condamnée en mars 2006 à huit ans de prison. Entre autres pour avoir enquêté sur les événements d’Andijan, une manifestation pacifique réprimée le 13 mai 2005 par les armes et dont le bilan non officiel fait état de 800 morts.

« J’ai bien failli ne pas en sortir vivante », dit-elle. Le 15 mai, alors qu’elle est désignée lauréate du prix Martin-Ennals, Mutabar Tadjibayeva est au plus mal. Fortement anémiée, gavée de médicaments, elle tient à peine debout. Pour avoir refusé de signer les demandes de grâce qu’on lui présente, elle fait des séjours à répétition – 119 jours, au total – en cellule d’isolement. « En Asie centrale, les aveux extorqués suivis d’une amnistie sont une pratique courante. Les mea culpa sont souvent retransmis à la télévision », raconte-t-elle.

LE MASSACRE D’ANDIJAN

En mars 2008, elle est transférée dans une clinique de cancérologie pour y subir une opération. « Dix jours après, j’ai appris qu’on m’avait enlevé l’utérus, mais je n’ai pas eu accès à mon dossier médical. Je sais maintenant que je n’ai jamais eu de cancer. Cette opération a manifestement été faite pour fournir le prétexte de me libérer pour des raisons de santé, estime-t-elle. Mais la clé de ma libération aura été le prix Martin-Ennals. »

Pour Mutabar Tadjibayeva, la prison a été l’aboutissement de six ans de combat. En 2000, le Club des coeurs ardents est une organisation dépendante du parti officiel (ex-Parti communiste), qui lutte contre la criminalité et la toxicomanie. Mais en 2002, Mme Tadjibayeva entre en dissidence en découvrant qu’un haut fonctionnaire régional est mêlé à un trafic de drogue.

En 2003, les 7 000 ouvriers de la raffinerie de Fergana se mettent en grève pour arracher des primes à leur direction corrompue. Ils obtiennent gain de cause. La militante ouzbeke qui les soutient échappe alors de peu à la mort, rouée de coups. Puis viennent, en 2005, les événements d’Andijan. Dans cette ville, une dizaine d’hommes d’affaires qui s’opposaient au nouveau gouverneur de région ont été arrêtés pour « extrémisme religieux », leurs aveux extorqués sous la torture. Mutabar Tadjibayeva adresse alors un télégramme au président Islam Karimov pour dénoncer cette situation. Onze jours après, elle est enlevée puis violée par trois hommes du Parquet de Tachkent qui lui conseillent de se taire. Le jour de la manifestation d’Andijan, elle est bouclée chez elle, puis arrêtée quelques mois après.

« Certains prétendent que la situation des droits de l’homme s’est, depuis, améliorée. Mais après ma libération, des militants de notre mouvement ont été arrêtés », explique Mme Tadjibayeva. A la mi-octobre, l’Union européenne a pourtant décidé d’alléger les sanctions imposées à l’Ouzbékistan fin 2005. Seul demeure l’embargo sur les ventes d’armes.

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